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[[Fichier:Mer Noire (carte).png|thumb|”’La mer Noire”’. La flotte française débarque en Crimée et dans le sud de l’Ukraine, mais les moyens sont très insuffisants et les équipages épuisés.]]
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[[Fichier:Mer Noire (carte).png|thumb|”’La mer Noire”’. La flotte française débarque en Crimée et dans le sud de l’Ukraine, mais les moyens sont très insuffisants et les équipages épuisés.]]
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À l’automne 1918, les puissances centrales s’écroulent. L’historiographie française ne retient souvent que la date du {{date-|11 novembre 1918}} comme marqueur de la victoire, car l’Est de la France constitue le front principal<ref>Sur la perception du 11 novembre 1918 qui varie considérablement d’un pays à un autre, voir les précisions éclairantes de {{harvsp|Becker|1996|p=231-243}}.</ref>. C’est oublier que la guerre est mondiale et que les Alliés sont [[Armistices de 1918 sur les fronts d’Orient et d’Italie|victorieux sur les autres fronts]] avant de voir l’Allemagne contrainte de demander l’armistice. Dans les Balkans, l’[[Armée française d’Orient|armée d’Orient]], sous les ordres de [[Louis Franchet d’Espèrey|Franchet d’Esperey]], était passée à l’offensive victorieusement le {{date-|15 septembre 1918}}. Le {{date-|30 septembre}}, la [[Bulgarie]], vaincue, signait l’armistice, ce qui permettait d’envisager une offensive double vers l’[[Autriche-Hongrie]] ou vers la [[Roumanie]] pour couper le ravitaillement en pétrole à l’Allemagne, voire d’aller attaquer [[Constantinople]]<ref name=”JJBecker216-223″>{{harvsp|Becker|1996|p=216-223}}.</ref>. En Orient, sous la pression de l’armée
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À l’automne 1918, les puissances centrales s’écroulent. L’historiographie française ne retient souvent que la date du {{date-|11 novembre 1918}} comme marqueur de la victoire, car l’Est de la France constitue le front principal<ref>Sur la perception du 11 novembre 1918 qui varie considérablement d’un pays à un autre, voir les précisions éclairantes de {{harvsp|Becker|1996|p=231-243}}.</ref>. C’est oublier que la guerre est mondiale et que les Alliés sont [[Armistices de 1918 sur les fronts d’Orient et d’Italie|victorieux sur les autres fronts]] avant de voir l’Allemagne contrainte de demander l’armistice. Dans les Balkans, l’[[Armée française d’Orient|armée d’Orient]], sous les ordres de [[Louis Franchet d’Espèrey|Franchet d’Esperey]], était passée à l’offensive victorieusement le {{date-|15 septembre 1918}}. Le {{date-|30 septembre}}, la [[Bulgarie]], vaincue, signait l’armistice, ce qui permettait d’envisager une offensive double vers l’[[Autriche-Hongrie]] ou vers la [[Roumanie]] pour couper le ravitaillement en pétrole à l’Allemagne, voire d’aller attaquer [[Constantinople]]<ref name=”JJBecker216-223″>{{harvsp|Becker|1996|p=216-223}}.</ref>. En Orient, sous la pression de l’armée britannique d’[[Edmund Allenby|Allenby]], le front turc était enfoncé. Le {{1er}} octobre, [[Damas]] était prise. Le {{date-|28 octobre 1918}}, la Turquie signait l’[[Armistice de Moudros|armistice à Moudros]]<ref name=”JJBecker216-223″/>. Le {{date-|13 novembre}}, l’escadre alliée (dont 5 cuirassés français) entrait triomphalement dans les [[Dardanelles]], mouillait devant Constantinople<ref name=”AcerraMeyer331-338″/> et occupait les forts du Bosphore<ref>{{harvsp|Taillemite|2002|p=13}}.</ref>. Entre-temps, l’Autriche-Hongrie, en pleine implosion, avait signé l’armistice le {{date-|3 novembre}}, un peu plus d’une semaine avant l’Allemagne<ref name=”JJBecker216-223″/>. La défaite des [[Empires centraux]] pose ”de facto” une nouvelle question : que faire de la [[Révolution russe|Russie en pleine révolution]]<ref name=”AcerraMeyer331-338″/> ?
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Les puissances alliées considèrent aussitôt les [[Bolcheviks|Bolcheviques]] comme les nouveaux adversaires à abattre<ref name=”AcerraMeyer331-338″/>. La [[Traité de Brest-Litovsk|paix de Brest-Litovsk]], en {{date-|mars 1918}}, entre le gouvernement de [[Vladimir Ilitch Lénine|Lénine]] et celui de [[Guillaume II (empereur allemand)|Guillaume II]], a sonné aux oreilles des Alliés comme une véritable trahison qui a failli leur coûter la guerre en libérant les troupes allemandes du front de l’Est pour prendre l’offensive à l’Ouest (de mars à {{date-|juillet 1918}})<ref>L’[[URSS]] est fondée officiellement en 1922, ce qui explique que ce terme n’est pas employé dans l’article, tout comme le mot « soviétique » et qu’il lui est préféré, selon les besoins, les appellations de « Russie » ou de « bolchevique » tel que les contemporains des évènements les utilisaient, sauf s’il est fait référence à des évènements survenus après 1922. En fonction des traductions, les révolutionnaires sont orthographiés « bolcheviques » ou « bolchevicks », voire « bolcheviks. » C’est la première appellation qui a été retenue ici, sauf si un document d’époque utilise une des autres orthographes.</ref>. Le [[Fin du régime tsariste en Russie|massacre de la famille impériale]], la [[Guerre civile russe|violence de la guerre civile]], font considérer les communistes [[Terreur rouge (Russie)|comme des barbares]], même si leurs adversaires ne se sont pas toujours [[Terreur blanche (Russie)|comportés mieux]]<ref name=”meyer-acerra-p332″>{{harvsp|Meyer|Acerra|1994|p=332}}.</ref>. Dès le {{date-|27 octobre}}, donc quinze jours avant l’armistice, et jusqu’au {{date-|21 novembre 1918}}, [[Georges Clemenceau|Clemenceau]] donne une série d’ordres qui aboutissent à l’intervention directe de la France en Russie du sud<ref name=”AcerraMeyer331-338″/>. La décision d’intervention est prise sans consulter les Alliés, notamment
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Les puissances alliées considèrent aussitôt les [[Bolcheviks|Bolcheviques]] comme les nouveaux adversaires à abattre<ref name=”AcerraMeyer331-338″/>. La [[Traité de Brest-Litovsk|paix de Brest-Litovsk]], en {{date-|mars 1918}}, entre le gouvernement de [[Vladimir Ilitch Lénine|Lénine]] et celui de [[Guillaume II (empereur allemand)|Guillaume II]], a sonné aux oreilles des Alliés comme une véritable trahison qui a failli leur coûter la guerre en libérant les troupes allemandes du front de l’Est pour prendre l’offensive à l’Ouest (de mars à {{date-|juillet 1918}})<ref>L’[[URSS]] est fondée officiellement en 1922, ce qui explique que ce terme n’est pas employé dans l’article, tout comme le mot « soviétique » et qu’il lui est préféré, selon les besoins, les appellations de « Russie » ou de « bolchevique » tel que les contemporains des évènements les utilisaient, sauf s’il est fait référence à des évènements survenus après 1922. En fonction des traductions, les révolutionnaires sont orthographiés « bolcheviques » ou « bolchevicks », voire « bolcheviks. » C’est la première appellation qui a été retenue ici, sauf si un document d’époque utilise une des autres orthographes.</ref>. Le [[Fin du régime tsariste en Russie|massacre de la famille impériale]], la [[Guerre civile russe|violence de la guerre civile]], font considérer les communistes [[Terreur rouge (Russie)|comme des barbares]], même si leurs adversaires ne se sont pas toujours [[Terreur blanche (Russie)|comportés mieux]]<ref name=”meyer-acerra-p332″>{{harvsp|Meyer|Acerra|1994|p=332}}.</ref>. Dès le {{date-|27 octobre}}, donc quinze jours avant l’armistice, et jusqu’au {{date-|21 novembre 1918}}, [[Georges Clemenceau|Clemenceau]] donne une série d’ordres qui aboutissent à l’intervention directe de la France en Russie du sud<ref name=”AcerraMeyer331-338″/>. La décision d’intervention est prise sans consulter les Alliés, notamment britannique, avec qui une sourde rivalité s’est installée en Orient depuis la victoire contre les Turcs : le Royaume-Uni a ainsi écarté l’[[Dominique Gauchet|amiral Gauchet]] des négociations menant à l’armistice avec la Turquie à Moudros. La guerre à peine achevée, la traditionnelle rivalité franco-britannique reprend le dessus<ref name=”meyer-acerra-p332″/>.
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Néanmoins, la volonté d’intervenir en Russie pour contenir ou anéantir la révolution bolchevique n’est pas spécifiquement française : la plupart des grandes puissances [[Intervention alliée pendant la guerre civile russe|partagent cette politique]]<ref>Pour Clemenceau, les Bolcheviques et l’Armée rouge sont « une forme nouvelle (…) d’impérialisme (…) qui fait peser sur l’Europe un danger d’autant plus redoutable qu’il vient au moment précis où la fin prochaine de la guerre va provoquer inévitablement dans chaque pays une crise économique et sociale. » Lettre au général Franchet d’Esperey citée par {{harvsp|Barré|1983|id=Barré1983|p=44}}. Quant à [[Winston Churchill]], qui sera membre quelques semaines plus tard de la délégation
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Néanmoins, la volonté d’intervenir en Russie pour contenir ou anéantir la révolution bolchevique n’est pas spécifiquement française : la plupart des grandes puissances [[Intervention alliée pendant la guerre civile russe|partagent cette politique]]<ref>Pour Clemenceau, les Bolcheviques et l’Armée rouge sont « une forme nouvelle (…) d’impérialisme (…) qui fait peser sur l’Europe un danger d’autant plus redoutable qu’il vient au moment précis où la fin prochaine de la guerre va provoquer inévitablement dans chaque pays une crise économique et sociale. » Lettre au général Franchet d’Esperey citée par {{harvsp|Barré|1983|id=Barré1983|p=44}}. Quant à [[Winston Churchill]], qui sera membre quelques semaines plus tard de la délégation britannique lors des négociations de paix à Versailles, il se montre, devant ses électeurs, encore plus virulent : « On est en train de réduire rapidement la Russie à une forme animale de barbarie… Les Bolcheviques se maintiennent au pouvoir par des boucheries sanglantes et systématiques, par des meurtres, exécutés en grande partie par des bourreaux chinois ou dans des voitures blindées… La civilisation est en passe de disparaître complètement sur de vastes territoires, tandis que les bolcheviques cabriolent comme une bande de féroces babouins sur les ruines des villes et les cadavres de leurs victimes » (13 novembre 1918). Une des amies de Churchill rapporte ces propos tenus à Lloyd George, le Premier ministre britannique : « Winston a dit à Lloyd George que tant qu’à reconnaître les Bolcheviks, autant légaliser la sodomie. » Propos cités par {{harvsp|Winter|Baggett|1997|p=343-344}}. Voir aussi ”Churchill’s Crusade : The British Invasion of Russia 1918-1920”, Clifford Kinvig, Londres, 2006, {{ISBN|1 85285 477 4}}.</ref>. Les Alliés [[Intervention en Russie septentrionale|débarquent en Russie septentrionale]], à Mourmansk puis Arkhangelsk. Les Britanniques s’activent dans la [[Mer Baltique|Baltique]]<ref>Les Britanniques interviennent aussi pour soutenir la volonté d’indépendance des nouveaux États de la Baltique, tous anciennes possessions de la Russie d’avant 1914 (Finlande, Estonie, Lituanie, Lettonie). La ”Royal Navy” livre trois batailles navales contre la marine bolchevique, à Tallin (26 décembre 1918), à Krasnaya Gorka (17 juin 1919) et à Cronstadt (18 août 1919). {{Harv|Le Moing|2011|p=535-538}}.</ref> et sont aussi fortement présents en mer Noire. Les Turcs pénètrent dans le [[Caucase]], les Américains et les Japonais occupent [[Vladivostok]]<ref>{{harvsp|Becker|1996|p=240-241}}.</ref>. Ces interventions sont cependant assez prudentes, car les contingents débarqués sont limités et on se contente d’apporter un soutien aux [[armées blanches]] contre-révolutionnaires qui cernent de tous côtés les régions tenues par les Bolcheviques. Le « [[Georges Clemenceau|Tigre]] » veut aller plus loin, et conçoit une gigantesque opération de soutien indirect aux armées blanches<ref name=”JMeyer1010-1011″/>. Le plan prévoit d’occuper les grands ports du Sud, puis de pénétrer à l’intérieur du pays avec mainmise sur le bassin charbonnier du [[Donbass|Donetz]]<ref>{{harvsp|Meyer|Acerra|1994|p=334}}. Le 22 novembre 1918, Clemenceau précise au général Franchet d’Esperey les raisons, les buts et les moyens de l’intervention française : « Raisons : nous sommes appelés par les gouvernements et les populations. Nous avons à contrôler l’exécution de l’armistice avec l’Allemagne en ce qui concerne l’évacuation des troupes allemandes. Buts : maintenir l’ordre intérieur en soutenant les gouvernements locaux [c’est-à-dire non-bolcheviks]. Leur donner le temps et les moyens d’organiser leur propre armée. Assurer la protection des intérêts alliés tout en s’abstenant d’intervenir dans la politique intérieure. Moyens : occupation des ports d’Odessa, Sébastopol… Assurer l’ordre dans le bassin du Donetz par envoi de détachements. Envoyer à Dénikine [le général blanc qui commande l’”[[Armée des volontaires]]”] de l’armement, des munitions et des officiers d’état-major. » Cité par {{harvsp|Barré|1983|id=Barré1983|p=44}}. Un courrier de Clemenceau parle aussi de « réaliser l’encerclement économique du bolchevisme et en provoquer la chute » comme étant une priorité. Cité par {{harvsp|id=Munholland|Munholland|1981|p=43}}.</ref>. Clemenceau veut aussi envoyer des techniciens ayant pour mission de « contribuer à la reconstruction économique du pays en étendant son action dans le domaine industriel et commercial. »<ref>Cité par {{harvsp|id=Munholland|Munholland|1981|p=43}}.</ref> Cette opération d’envergure doit mobiliser, outre la {{IIe}} escadre du [[Jean-François-Charles Amet|vice-amiral Amet]], des divisions prises sur l’[[Armée française d’Orient|armée d’Orient]]<ref name=”AcerraMeyer331-338″/>. Il est prévu aussi de s’appuyer sur les {{unité|500000|soldats}} allemands qui stationnent en [[Ukraine]] depuis la paix de Brest-Litovsk pour maintenir l’ordre en attendant l’arrivée des troupes françaises<ref>{{harvsp|Meyer|Acerra|1994|p=333}}. Les clauses de l’armistice du 11 novembre 1918 prévoient que ces troupes quitteront la région « dès que les Alliés jugeront le moment venu », site [http://58eri.canalblog.com/archives/2009/10/30/15625418.html canalblog.com, d’après un article de l’”Encyclopedia Universalis”].</ref>. Mais rien ne va se passer comme voulu par l’entreprenant [[Président du Conseil (France)|Président du Conseil]].
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== Une intervention mal préparée et qui manque de moyens ==
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== Une intervention mal préparée et qui manque de moyens ==
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